Un épervier, après avoir longtemps poursuivi une colombe sans pouvoir l'atteindre, vint en étourdi s'abattre dans les réseaux d'un oiseleur. Celui-ci ne l'eut pas plutôt pris, qu'il se mit en devoir de s'en défaire. Cruel, lui disait l'oiseau, qui voulez m'ôter la vie, quel mal vous ai-je fait ? Et quel mal, reprit l'homme, t'avait fait cette colombe que je t'ai vu poursuivre ? meurs. Cela dit, il le tue.
Ainsi le ciel permet qu'un méchant soit la proie
D'un plus méchant que lui,
Qui le paye à son tour de la même monnoie
Dont il payait autrui.
Un renard qui mourait de faim, aperçut des raisins qui pendaient sur le haut d'une treille assez élevée. Ils étaient mûrs, et le drôle en eût volontiers fait son profit ; mais il eut beau sauter et ressauter, la treille se trouva si haute qu'il ne put y atteindre. Comme il vit que tous ses efforts étaient inutiles : Ces raisins, dit-il, en se retirant tête levée, je les aurais fort aisément, si je voulais ; mais ils me semblent si verts, qu'ils ne valent pas la peine que je me donnerais pour les prendre ; j'aime mieux les laisser pour le moment.
Ce renard, dans le fond, était au désespoir.
On croit qu'il dit après, avec plus de franchise :
Les raisins étaient mûrs : mais toujours on méprise
Ce qu'on ne peut avoir.
Un loup s'entretenait avec un chien des mieux nourris, et le félicitait sur son embonpoint. Ami, lui disait-il, à te voir si gras et si poli, il est aisé de juger que ton sort est fort au-dessus du mien. N'en fait aucun doute, répliqua le chien. En vérité, mon cher, quand je me représente que tu ne couches que dans les bois, et presque toujours à l'air, que le plus souvent on t'y voit mourir de faim, haï, couru, persécuté de tout le monde, je ne puis concevoir comment tu peux supporter un vie si misérable. Pour moi, je vis bien d'un autre façon ; bien couché, mieux nourri, chez un maître qui me fait cent caresses ; ainsi je te laisse à penser si j'ai lieu de m'y croire heureux. Mais crois-moi, poursuivit-il, résous-toi à me suivre ; en faisant ce que je fais au logis, tu pourras, et sans grande peine, y partager mon bonheur. Et que me faudra-t-il faire ? repartit le loup. Presque rien répondit l'autre, écarter les voleurs et de temps en temps flatter le maître ; du reste tu n'auras qu'à boire, manger et dormir à ton aise. Ami, reprit le loup tout transporté de joie, s'il ne tient qu'à cela pour me rendre heureux, je le ferai tout aussi bien que toi. Cela dit, il suivit l'autre. Chemin faisant, le loup s'aperçut que le cou du chien était pelé, et lui en demanda la cause. Ce que tu vois répondit l'autre, peut provenir du collier qui sert à m'attacher. Attacher! dit le loup. Tu ne cours donc pas où tu veux ? Pas toujours, reprit le chien ; mais à cela près, j'ai tout à souhait. Grand bien te fasse, dit le loup en rebroussant chemin. Quant à moi, je n'envie plus ton sort. Moins de biens et plus de liberté, c'est ma devise. Cela dit, il court encore.
Dépendre, dans les fers, du caprice d'un maître,
Dure condition, disait le loup au chien :
Il lui fit bien connaître
Que sans la liberté, tout le reste n'est rien.