XXXI.

La Fourmi, la Colombe et le Chasseur.



Une fourmi tomba par mégarde dans un ruisseau : comme elle s'y noyait, une colombe qui l'avait aperçue fit tomber dans l'eau quelques petites branches de l'arbre sur lequel elle était perchée. Ce fut pour l'autre un petit radeau, qui lui donna moyen de se sauver sur la rive. Dans le temps qu'elle abordait, un chasseur y bandait son arc et y mirait la colombe. Il allait la percer d'un coup de trait, lorsque la fourmi reconnut le danger où était sa bienfaitrice. Alors elle accourut, et piqua l'homme au pied : au bruit que celui-ci fait en se retournant, la colombe le découvre et s'envole. Ainsi celle qui lui devait la vie la sauva à son tour, et lui rendit par ce moyen le bon office qu'elle en avait reçu.


Obligez, sans espoir même de récompense :
Un bienfait n'est jamais perdu,
Tôt ou tard il vous est rendu,
Et souvent dans le temps que le moins on y pense.





XXXII.

La Mère et l'Enfant voleur.



Une mère ne châtiait point son enfant des petits larcins qu'il faisait presqu'à la mamelle, et le gâtait. Celui-ci crût en malice à mesure qu'il crût en âge. Au sortir du berceau, il prit une pomme, et l'on ne pensa point à l'en reprendre. Lorsqu'il fut au collége, il déroba les livres de ses camarades, et courut les montrer à sa mère, qui n'en fit que rire. Devenu plus grand, il prit chez ses voisins des choses de plus grand prix, et n'en fut point réprimandé. Bientôt, comme il se portait de plus en plus au mal, faute de correction, il vola dans les villes, puis sur les grands chemins. Le prévôt l'y prit, et enfin la justice le condamna à perdre la vie sur un gibet. Étant sur l'échelle, il dit à l'assistance qu'il voulait voir sa mère pour la dernière fois, et demanda en grâce qu'on l'allât chercher de sa part ; ce que l'on fit. Lorsqu'il la vit, il la pria de s'approcher, et feignit de vouloir l'embrasser ; ensuite il lui prit l'oreille à belles dents, et la lui emporta tout entière. Puis se tournant vers le peuple : Messieurs, leur dit-il, si cette malheureuse m'eût châtié dans mon enfance toutes les fois que mes fautes le méritaient, je ne me verrais pas réduit à finir ma vie par une mort infâme. Cessez donc d'être surpris du traitement que je viens de faire à celle que je ne puis regarder ici que comme ma plus cruelle ennemie.


Pères, n'écoutez pas une aveugle tendresse :
Corrigez vos enfants, lorsque, dans leur jeunesse,
Sans peine vers le bien vous pouvez les plier.
C'est bien aimer, dit-on, que de bien châtier.





XXXIII.

Mercure et le Bûcheron.



Un bûcheron perdit sa cognée. Comme c'était son gagne-pain, le pauvre homme se désespérait. Mercure, touché de ses cris, vint à lui, et lui montrant une cognée d'argent : Ne serait-ce pas là, lui dit-il, la cognée que tu viens de perdre ? Non, répondit l'homme sans hésiter. Et cette autre ? reprit le dieu en lui en faisant voir une seconde d'or. Ni celle-là, lui repartit-on. Ce sera donc celle-ci ? poursuivit Mercure en lui en découvrant une troisième en fer. Voilà s'écria le bûcheron, celle que je cherche, et l'unique que je vous demande. Prends-là, lui dit le dieu ; et pour le prix de ta bonne foi, emporte encore les deux autres. Cela dit, il le força à les prendre tous les trois.


Qui d'entre vous, voyant la première cognée,
N'eût crié : C'est la mienne, et ne l'eût empoignée ?
On s'en fût mal trouvé. Tout pesé mûrement,
Il n'est rien tel en tout que d'agir rondement.